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Nonfiction.fr recense l’essai de G. A. Cohen

mardi 06 juillet 2010


Socialisme et camping

par Jérôme Tournadre-Plancq

On pouvait, jusqu’à ces dernières semaines, regretter que le travail de Gerald Allan Cohen soit relativement peu connu en France et n’ait, surtout, pas fait l’objet de traductions. Celui que Jane O’Gready présentait, au lendemain de sa mort dans les pages du Guardian, comme étant « sans doute le principal philosophe politique de la gauche », mériterait certainement un peu de la notoriété dont Amartya Sen, entre autres, bénéficie désormais de ce côté-ci de la Manche. L’oubli est cependant derrière nous avec la publication récente du dernier écrit de Gerald Cohen, Pourquoi pas le socialisme ?


Capable de ferrailler avec John Rawls (à qui il reprochait les effets pervers de son « principe de différence ») et Robert Nozick (dont il démontrera notamment les limites d’une réflexion reposant sur le supposé antagonisme entre la liberté et l’égalité), Gerald Cohen s’était avant tout signalé dans le monde intellectuel international comme l’un des plus intéressants épigones de Marx. En 1978, en publiant Karl Marx’s Theory of History: A Defence, cet enfant d’ouvriers canadiens posait en effet les jalons d’une pensée ambitionnant de lire le philosophe allemand à la lumière de la philosophie analytique du XXe siècle.

Cohen connaîtra par la suite une trajectoire qui le verra rejoindre le corps enseignant du prestigieux All Souls College d’Oxford et se rapprocher, lors des dernières années de sa vie, d’une pensée empreinte de christianisme, intéressée par les attitudes individuelles et leur influence sur le changement social. Se campant alors volontiers en « ex-marxiste », le philosophe ne renoncera cependant pas à croire aux vertus de l’égalitarisme, principale matrice du socialisme. Et c’est finalement cette conviction qui porte le court essai que publient les Éditions de l’Herne dans la collection des « Cahiers anti-capitalistes ».

Au fil de cette soixantaine de « petites » pages, Gerald Cohen pose en effet deux questions pour le moins essentielles dans un monde que l’on dit gouverné par le marché : le socialisme est-il réalisable ? Et le cas échéant, est-il souhaitable ?

Pourquoi pas le socialisme ? est construit autour d’une expérience de pensée que l’on pourrait résumer ainsi : et si les principes « socialistes » qui régulent efficacement et de manière incontestée la vie du camping, étaient transposés au reste de la société… C’est en effet le camping, où prédominent un égalitarisme spontané et une orientation de tous vers la réalisation et la protection de l’intérêt commun, qui s’affirme en laboratoire idéal du socialisme.